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L’exceptionnalité de Venise, positive et négative au même temps, a toujours été perçue par les écrivains. Aimée et détestée à la fois, elle a toujours été décrite comme une ville remarquable et unique, différente des autres villes, merveilleux lieu de rencontre entre Orient et Occident.
Dés son origine, la littérature italienne, avec Salimbene de Adam , chroniqueur médiéval de Parme, a contribué à la naissance du mythe de Venise.
Érasme de Rotterdam est de la même opinion: après avoir passé un an à Venise, il écrit à Ambrogio Leoni en disant d’y avoir connu l’amitié et une grande douceur de vie.
Ce n’est pas un hasard si les sages appartenant à diverses religions qui paraissent dans l’œuvre Colloquium Heptalomeres, attribuée à Jean Bodin, se trouvent à Venise, ville qui accepte la liberté d’expression.
Voilà donc, l’opportunité d’une cohabitation libre et tranquille entre idées, religions, philosophies constitue une base positive pour la réputation que la Sérénissime veut soutenir, pourvu que les hommes respectent leurs devoirs vers l’état. Venise est la terre de toute liberté, la plus belle, la plus saine.
C’est un éloge à la justice vénitienne qui permet un final joyeux dans le Marchand de Venise Shakespearien. L’éloge du marchand Antoine, noble surtout d’âme et non seulement de famille, nous fait comprendre un trait distinctif des vénitiens, qui se vantent d’ailleurs d’avoir voyagé en Orient pour des raisons de marché avant de se dédier à la carrière politique.
Au XVII siècle, Venise est la première à créer la ‘mode’ littéraire des Académies; les Glorie célébrées par Giovan Francesco Loredan dans Incogniti est un exemplaire célèbre.
Les Mémoires de Casanova avec les comédies et les Mémoires de Goldoni et les œuvres théâtrales de Gozzi sont les textes qui ont donné au monde entier une image toute particulière de Venise.
À partir du XVIII siècle cette image-là se lie à celle du Carnaval et des fêtes, et surtout à la duplicité offerte par l’usage d’un masque, derrière lequel il est possible d’avoir plusieurs personnalités, un changement qui permet la diversité et le double. Le fait que dans les comédies de Goldoni soient présentes de fortes critiques aux dépenses pour les divertissements extravagants (les jeux de hasard en premier): le carnaval vénitien reste attaché à une idée de fête qui est accentuée par l’architecture même de la ville, par l’eau et ses reflets, par les gondoles mystérieuses.
L’œuvre Piacevoli Notti de Giovan Francesco Straparola se situe justement au cours du carnaval de Murano. Le thème du carnaval reste l’un des sujets les plus marquants, dans la musique (il suffit de penser au succès de la chanson populaire Carnaval de Venise, qui fut d’inspiration pour des poèmes récités a l’occasion des Régates) comme dans la peinture, par exemple de (Pietro Longhi , Francesco Guardi).
Venise est lieu de départ et d’arrivée pour les voyageurs. On la retrouve décrite dans une longue série de relations : à partir de celle de John Mandeville, voyageur anglais du XIV siècle, jusqu’à nos jours. Au XVIII siècle, la ville devient une destination privilégiée à l’intérieur du Tour éducatif et culturel dont nous avons lu dans le "Volpone" de Ben Jonson.
La relation plus célèbre doit être celle de Wolfgang Goethe qui décrit longuement dans Voyage en Italie la ville de Venise, qu’il définit comme la « merveilleuse république des castors ». La vision de Schiller est opposée car il définit cette ville comme hantée par une hypocrisie dominante et pleine de complots.
Mais la fin de la République de la Sérénissime, causée par l’armée de Napoléon et par la cession à l’Autriche, se retrouve chez Ippolito Nievo, Mémoires d’un Italien et aussi, de manière différente, chez Camillo Boito, dans la nouvelle Senso, qui fut magnifiquement adaptée au cinéma par Luchino Visconti .
L’image de Venise est aussi chargée de tristesse et décadence: à partir de Stones of Venice de John Ruskin, en passant par les portraits des voyageurs de l’époque, parmi lesquels George Sand, Journal d’un voyageur et Histoire de ma vie, jusqu’aux poésies lyriques de l’auteur romantique Aleardi.
Il ne faut pas oublier que Henry James situe dans cette ville les histoires où les personnages sont traversés par de fortes passions (Les Ailes de la Colombe, Les Papiers d'Aspern).
Venise est aussi théâtre de passions érotiques raffinées (Giuseppe D’Annunzio et le Baron Corvo), jusqu’à l’image de dissolution présentée par Thomas Mann dans La Mort à Venise , qui raconte la séduction de la beauté et de la mort, ou dans l’œuvre d’Hugo von Hofmannsthal Andréas: «Il faut cacher la profondeur. Où? Dans la superficie ».
Enfin, l’importance que Marcel Proust donne à Venise, lieu de souffrance et jalousie profondes envers Albertine (dans La Recherche du Temps Perdu: La Prisonnière et La Fugitive).
Mis à part le vent futuriste de Marinetti, qui s’abat sur le Canal Grande et selon lequel les gondoles ne sont que des chevaux à bascule pour crétins, méritant d’être anéanties par un feu purificateur, Venise reste une ville d’enchantement et de fascination. Parfois elle est malade (Iosif Brodskij, Fondamenta degli Incurabili), parfois elle ne semble pas à la hauteur des mythes sur lesquels elle se construit, comme Eugenio Montale écrit dans sa récolte de poèmes Satura II: « ville qui ne demande que de touristes et aimants vieillards ».
Cette correspondance mutuelle de fascination–attraction-répulsion entre une ville qui appartient au monde et le monde qui est attiré par elle, continue dans un jeu de séduction réciproque qui reste éternel.
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